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  • Photo du rédacteurIsabelle DEVISE

Extrait

Grâce au Sabril que nous administrons depuis six semaines à J., nous mesurons une nette amélioration. La fréquence des crises s’amenuise, mais les attaques continuent, nous laissant à chaque fois plus démunis. Les tracés des E.E.G., qui se succèdent tous les quinze jours, restent anormaux. Le cerveau de J. souffre systématiquement. Le 22 mars 2007, le docteur D propose un nouveau protocole à base d’hydrocortisone, une hormone proche de la cortisone naturelle. Il se montre optimiste et encourageant. Mais ma peur persiste. A-t-il la même attitude avec tous ses patients ? Que pense-t-il sincèrement quant à l’issue de ce syndrome pour J. ? La cortisone doit absolument agir au bout de quatre jours et stopper les crises. Dans le cas contraire, l’espoir d’une vie normale pour J. se sera encore éloigné. Dès le lendemain matin, je m’applique à mettre six pilules dans la compote, et autant le soir, soit douze comprimés, pour une prescription de cent vingt milligrammes par jour. Ce traitement pèse exceptionnellement lourd pour son petit gabarit d’un peu moins de huit kilogrammes. Son organisme s’efforce d’assimiler une dose supérieure à celle d’un adulte. Les effets secondaires, multiples et conséquents, peuvent aussi apparaître. À compter de ce jour, nous devons surveiller au quotidien sa tension artérielle et son poids. Petit à petit, son corps se retrouve déformé par la rétention d’eau malgré un régime alimentaire très strict et sans sel. Sur les photos, les joues de J. semblent disproportionnées. La cortisone entraîne une fatigue importante. Son comportement est affecté. Elle devient particulièrement excitée, irritable, impatiente et connait pour la première fois des troubles du sommeil.

Les deux premiers jours, les crises se succèdent, inexorablement. Nous ne mesurons aucun effet de la cortisone. Nous comptabilisons, chronométrons, notons dans le calendrier tel le personnel soignant le plus attentif et discipliné. À chaque fois, mon regard se perd sur ce relevé, synonyme de répétition, d’inefficacité du traitement. L’avoir sous les yeux me terrifie. Autant de moments de doute et d’espoir. Les crises persistent encore et toujours. J. souffre encore et toujours. Nous anticipons le pire. Notre fille est condamnée. Cela ne s’arrêtera jamais. Autant s’y préparer.

Le troisième jour restera à jamais marqué dans ma mémoire. Je suis dans ma chambre, assise sur mon lit, J dans les bras. Une crise surgit. Comme à chaque fois, je prends de plein fouet cette terrible impuissance. Je ne peux rien faire sinon la serrer fort et attendre, attendre que cela cesse. Cette crise est terrifiante et pourtant, incroyablement belle et puissante. Je ressens à cet instant une sincère et profonde acceptation d'un éventuel handicap lourd et certain pour ma fille. Mais je suis en paix. Les trois minutes les plus puissantes et les plus marquantes de ma vie jusqu’à maintenant.

Le quatrième jour, un jour comme un autre. La météo ? Je ne sais pas. Tout m’indiffère à part J.. Je suis suspendue à cet espoir fou que le cauchemar puisse s’arrêter. Les gestes du quotidien prennent le pouvoir et égrènent le temps. Heureusement. L’angoisse semble perpétuelle et pourtant, la journée se déroule, sans crise.

Le lendemain, nous vivons un peu moins en apnée. Serait-ce envisageable ? Pouvons-nous oser croire ? Espérer ? Non. La terreur règne, installée, dans chaque fait et geste de J., dans chaque respiration. Ressent-elle notre angoisse ? L’enjeu de ces minutes qui défilent et promettent sans le dire, une possibilité de guérison ? Notre petite fille, notre trésor du haut de ses huit mois. Au soir du cinquième jour, J. n’a pas refait de crise. Elle n’en fera plus jamais.



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